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STABAT MATER FURIOSA
NOTE D'INTENTION

De l'intime à l’universel.
Dans son « Retour sur l 'écriture » de Stabat Mater Furiosa, Jean-Pierre Siméon écrit : il n'y a pas d'intention. Il fallait c'est tout ».
Et il y eut pourtant de nombreuses circonstances, des événements intimes, politiques, temporels et géographiques qui l'ont amené à cette nécessité d'écrire ce
texte.
J'observe cette même nécessité instinctive, au delà de toute intention à mettre en scène et jouer Stabat Mater Furiosa.
Et pourtant, de même, en tentant de comprendre pour expliquer le pourquoi, une suite d'événements et de circonstances se révèlent être autant de
« raisons »artistiques, intimes et politiques.

J'ai découvert ce texte en 2014 et il ne m'a plus quitté.

A cette époque, je passe des années (8 en tout) à interpréter le personnage de Marguerite d'Anjou dans la tétralogie Henry VI et Richard III mise en scène de
Thomas Jolly.
Un personnage historique, une femme qui n'a rien choisi, à qui on a mis une couronne sur la tête, dans un climat de Guerre, qui n'avait pas les fameux codes d'honneur de la guerre et qui a agi passionnément, furieusement, pour survivre.
Une guerrière dans un monde de guerriers.
Ensuite, dans cette même période, un événement brutal et intime me confronte, au deuil.
En résonance directe avec celui ci et comme pour dépasser l'intime des larmes du deuil, je travaille en mise en scène sur les Troyennes de Sénèque, un projet d'envergure que je souhaite réaliser en 2025.
Avec les Troyennes, je continue d'interroger la place des femmes dans un monde guerrier et masculin. Et en travaillant, je constate à quel point l'expression de la douleur est bridée dans nos sociétés occidentales et contemporaines.
Le tabou des larmes aussi.
Il y a dans les Troyennes l'expression paroxystique de la douleur et la fureur des femmes en deuil, comme une provocation au deuil bienséant et un refus de l'acceptation des lois de la guerre.
Stabat Mater Furiosa, qui m'accompagne alors (le texte est toujours dans mon sac), éveille en moi un désir puissant d' interroger notre rapport à la guerre et à toute forme de conflit, une nécessité de remettre en question l'héritage patriarcal de nos constructions conflictuelles. Dire, redire.
Agir par la parole. Sans concession ni compromis.
A chaque conflit, chaque guerre, les mots de Jean-Pierre Siméon résonnent, sonnent si justes qu'il m’apparaît évident de les partager, les faire entendre à toustes pour ensemble, éprouver cette « conscience de l'abjection infiniment
recommencée ».
Et peut-être, ensemble, faire le rêve -sans oublier et en toute conscience- d'un monde nouveau, à l'horizon lumineux.

Un acte d'exorcisation
Stabat Mater Furiosa, comme le présente Jean-Pierre Siméon est une poésie de théâtre.
Une femme, seule, livre sa prière furieuse. Accusant l'homme de guerre.
« Je suis celle qui refuse de comprendre ». Ainsi commence le texte qui donne déjà toute la radicalité de la pensée, de l'acte qui va se dérouler.
Je souhaite donner à entendre et à voir comme un acte d'exorcisation,par la parole, le verbe dans toute sa radicalité.
Un espace, vide, clair, couleur cendre. Les cendres des morts qui sont rappelés, convoqués ici pour ne pas laisser place à l'oubli - « malédiction sur nous si nous oublions un instant »- ni au silence.
Peut-être un élément scénographique évoquant à la fois la stèle, le totem, l'autel, l'oratoire sur lequel sera prise cette parole.
Pas plus.
Cette parole brute, incisive doit pouvoir se suffire d'elle même pour faire acte.
Acter.

Ce titre, Stabat Mater Furiosa , n'est pas sans évoquer l'hymne liturgique, religieux mis en musique par de nombreux compositeurs (Dvorak, Vivaldi, Pergolèse etc),
Stabat Mater Dolorosa.
Il s'agira, dans la mise en scène du texte de Siméon de faire entendre la musicalité du texte et ses différents mouvements par la parole seule.
En effet, il y a dans Stabat Mater Furiosa, une musique interne au texte, enjoignant à l'actrice de prendre à bras le corps, à pleine voix ses indices (allitérations, répétitions, enchaînement, figures de style) pour en faire entendre tous les sons :
« Le bruit du pas des hommes en guerre, le petit tam tam mou de la mort qui se prépare, les cliquetis des armes ... »
Nul enjolivement, nul soutien musical ou sonore, c'est faire le pari du vertige de faire acte avec le corps, la voix seul.es.
« il me reste la voix/Contre ce tumulte obscène/Ma voix seule pour que tu l'entendes »
« Telle est ma force:/Je n'use que de ma voix si proche du silence et/ Qui n'a que l'obstination fragile du coquelicot ».

« La poésie sauvera le monde »
Stabat Mater Furiosa, une prière furieuse donc, mais non dénuée d'espoir et de lumière.
Dans un entretien, Jean-Pierre Siméon évoque l'intensité de la vie, dont la poésie est le premier vecteur. Et c'est cela qui, dans l'écriture de Stabat Mater, exulte finalement. Le point d'orgue de cette prière est l' Espoir.
Et c'est cet espoir qui me bouleverse et que je souhaite partager. Cet espoir dans l'humanité qui peut arriver à condition de ne pas fermer les yeux sur nos tendance toutes humaines au conflit, à la destruction.
Espoir de penser la vie comme un bien précieux.

Dans ce monde qui arrive à bout de souffle dans sa surconsommation, prendre le temps du poème afin de tenter d'éprouver l'intensité de la vie par l' intensément
présent. Et ceci dans une économie de consommation justement. Des moyens techniques réduits (lumières, scénographie) mais précis, pour laisser place à l'acte poétique
dans tout son dénuement.

Charline Porrone